DÉGRADATION DES TERRES ET VULNÉRABILITÉ DES POPULATIONS DE LA COMMUNE RURALE DE SOKORBÉ FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET A LA PRESSION ANTHROPIQUE

TAHIROU Souley (1), WAZIRI MATO Maman (2) et ABBA Bachir (3)

  1. Doctorant géographe, Université Abdou Moumouni de Niamey, souleyta@gmail.com
  2. Maitre de conférences, Université Abdou Moumouni de Niamey, wazirimato@gmail.com
  3. Maitre assistant, Université de Zinder, ababachir@gmail.com

INTRODUCTION

Les périodes de sécheresse qui ont durement affecté la région sahélienne depuis le 19ème siècle ont mis en relief la précarité des ressources naturelles, notamment les terres, ainsi que la nécessité de faire, de façon plus systématique, appel aux terres marginales dans un contexte de croissance démographique et de changement climatique (Zairi, 2008 ; Daouda, 2012 et Fall, 2014).

Par la suite, on assiste à une dégradation progressive de ces ressources malgré les actions entreprises pour y faire face. Le Niger, situé entre les longitudes 0°16’ et 16° Est et les latitudes 11°1’ et 27°17’ Nord où les trois quarts (3/4) sont désertiques, ne fait pas exception à cette situation. Dans ce pays, la dégradation des terres et l’insécurité alimentaire sont les problèmes cruciaux qui touchent des vastes étendues. Les sécheresses récurrentes (ABN, 2006 ; Daouda, 2007 ; Issa et al., 2009)  qui ont régulièrement sévi dans le pays, couplées aux actions anthropiques non conservatrices font que les ressources végétales protectrices de l’environnement ont diminué, voire disparu, exposant ainsi les terres aux effets des diverses formes de dégradation. Or, 85% de la population active, tirent la grande partie de leurs revenus de l’exploitation de ces ressources naturelles, particulièrement les terres. C’est pour mieux analyser le phénomène qu’une étude visant à cartographier l’état de la dégradation des terres et évaluer la vulnérabilité des populations face à cette dégradation et à l’insuffisance alimentaire qui en découle a été menée dans la commune rurale de Sokorbé située dans la partie sud-ouest du territoire nigérien. La réponse probable émise dans le cadre de cette étude est que la dégradation a atteint un état avancé et qu’elle rend vulnérables les populations de la commune rurale de Sokorbé, en affectant leurs ressources de subsistance, leurs infrastructures et leurs habitats.

L’exploitation des données satellitaires du type Landsat (1986 et 2013) et des données qualitatives et quantitatives recueillies au moyen d’entretiens semidirects et d’enquêtes individuelles auprès des ménages ont permis de vérifier cette hypothèse. Après une brève présentation de la zone d’étude, il sera exposé la méthode et les matériels ; les résultats obtenus seront analysés et discutés  dans la dernière partie.

 

1. CONTEXTE DE L’ETUDE ET METHODOLOGIE

1.1. Présentation de la zone d’étude

La commune rurale de Sokorbé est située dans la partie sud-ouest du Niger, entre 3°00’ et 3°18’ de longitude Est et 13°21’ et 13°33’ de latitude Nord. Elle couvre une superficie de 643,43 km² occupée par une population de 27 967 habitants en 2001, pour passer à 42 949 habitants 2016 (INS, 2016), répartis dans 23 villages administratifs et plusieurs hameaux (carte 1). 

L’activité principale de cette population est l’agriculture. Elle est pratiquée sous un climat sahélien de pluviométrie moyenne annuelle d’environ 530 mm sur des sols allant de faciès ferrugineux aux sols hydromorphes (carte 2). La végétation est du type steppe dégradée caractérisée par une strate ligneuse clairsemée et celle herbacée. L’analyse de la physiographie montre la présence de plateaux au centre et à l’ouest de la commune. Les altitudes oscillent entre 198 et 263 m (carte 3). 

1.2. Données, méthodes et matériels

1.2.1. Données

La dynamique environnementale a été étudiée à l’aide de l’imagerie satellitaire du type Landsat de 1986 et LLC 2013. En plus, des données quantitatives et qualitatives collectées auprès de la population ont été utilisées. Il s’agit des données relatives à l’évolution de la production agricole au cours de ces cinq (5) dernières années, le nombre de bottes produit au cours de l’année, la durée de consommation de cette quantité produite, leurs revenus annuels, le nombre de personnes en charge ainsi que des appréciations faites par rapport à l’état de leurs terres agricoles.

1.2.2. Méthodes et matériels

La méthodologie a consisté à exploiter deux images satellitaires.

L’objectif assigné à ce traitement est de soustraire des informations essentielles sur l’occupation du sol à l’échelle de la commune rurale de Sokorbé. Pour l’identification des différentes unités ou classes d’occupation du sol, ce sont l’image Landsat TM du mois de novembre 1986 et une image LLC du même mois 2013 qui ont été exploitées. Ces images de saison sèche permettent de montrer les contrastes à partir de la physionomie de la végétation.

Afin d’extraire les informations sur l’occupation des sols, il a été retenu la méthode de l’interprétation visuelle. Ainsi, il a été élaboré une clé d’interprétation des images exploitées en se référant à la Nomenclature des classes d’Occupation des Sols du Niger (NOS) connue comme document référentiel en la matière. L’identification des unités a reposé sur les caractéristiques spectrales telles que : structure, texture, tonalité, forme et distribution spatiale. En vue de l’analyse, il a été nécessaire de rendre comparable l’apparence sur écran des zones invariantes des différentes images. Cela a consisté à l’amélioration de la qualité visuelle des images utilisées, la suppression des imperfections et la correction géométrique. Cette étape a été suivie par d’autres opérations comme la composition colorée qui ont conduit à la discrimination des différentes classes d’occupation des sols. En effet, l’image satellite étant constituée de bandes spectrales, il a été attribué à chacune d’elles une des trois (3) couleurs fondamentales (Rouge, Vert et Bleu : RVB) afin de faciliter le traitement. Cette étape a été indispensable car la visualisation par télédétection reste une étape essentielle dans l’interprétation des images. Elle consiste à faire une synthèse de l’information contenue dans les trois (3) canaux (bandes 4, 3 et 2) du satellite pour avoir une image visible par l’œil humain. L’interprétation visuelle des images s’est faite par digitalisation (numérisation) en identifiant des espaces homogènes auxquels on attribue des codes uniformes. C’est ainsi qu’il a été identifié sur l’image une dizaine de classes d’occupation du sol dans la zone d’étude telles qu’elles sont définies dans la NOS. Les différentes classes d’occupation digitalisées ont été vérifiées et validées lors de visites de terrain. À la fin des opérations de vérification, les surfaces occupées par chacune des unités ont été rapportées à la surface totale de la zone. Cela a permis de réaliser les deux cartes d’occupation des sols. Afin de mieux mettre en évidence la dynamique environnementale, un indice a été calculé. Il s’agit du taux d’évolution moyen annuel utilisé par Wafo Tabopda et al. (2009) et qui a permis de déceler le comportement (progression ou recul) de chaque élément d’occupation des sols dans l’intervalle du temps considéré. Ce taux d’évolution d’une unité d’occupation donnée entre les années 1986 et 2013 est calculé comme suit : Tx = [((S2013- S1986) / S1986)* 100]/27 où Sx = superficie de l’année x et 27 le nombre d’années.

Pour la carte de dégradation des terres, elle a été réalisée en s’inspirant de la méthode d’évaluation et cartographie de la dégradation des terres de Brabant (2008). Il s’agit d’identifier sur le terrain les trois principaux indicateurs et l’indice de dégradation des terres. Pour ce faire, plusieurs points d’observations ont été choisis. Chacun de ces points d’observation a fait l’objet d’une description des principaux indicateurs de la dégradation des terres notamment le type et sous type de dégradation des terres, la classe d’extension et le degré de dégradation. Ces indicateurs sont complétés par les données recueillies auprès des populations sur l’évolution de leurs productions agricoles au cours de ces cinq dernières années. Quant à l’indice synthétique de dégradation des terres, il est constitué à partir de deux indicateurs qualitatifs (le sous-type de dégradation et le degré) et d’un indicateur quantitatif (l’extension). L’extension et le degré sont répartis en classes auxquelles on a attribué des valeurs allant de 1 à 5. Ainsi, on obtient la gamme suivante : Indice 1 : vert foncé (très faible) ; indice 2 : vert clair (faible) ; indice 3 : vert moyen (moyen) ; indice 4 : rouge clair (fort) ; indice 5 : rouge foncé (très fort).

Pour le choix de l’échantillon de la population à enquêter, la formule de Bruno et Beaud (2003) a été appliquée pour déterminer l’échantillon représentatif de la zone d’étude. Selon ces auteurs, n=1/E² c’est-à-dire la taille de l’échantillon est égale à l’inverse de l’erreur (E) au carré. En appliquant un facteur de correction en suivant la formule n’=N*n/ N+n où n’ est l’échantillon corrigé, n la taille de l’échantillon non corrigée et N la taille de la population étudiée, on obtient l’effectif de la population représentative. C’est ainsi qu’un échantillon avec une marge d’erreur de 5% a été choisi. On a donc n=1/0,05*0,05 ce qui implique que n=1/0,0025=400. En se basant sur les données du dernier recensement, le nombre de ménages agricoles (population d’étude) de la commune rurale de Sokorbé est estimé à 4 761 (RGPH, 2012). De ce fait, n’=4 761*400/4 761+400, donc le nombre de ménages à enquêter dans le cadre de cette étude est estimé à 369 ménages. Ces 369 ménages sont ciblés dans 10 villages administratifs parmi les 23 que compte la commune.

Pour bien appréhender cette étude,  un certain nombre de matériels et outils sont utilisés. Il s’agit de : 

  • Arc View 3.3 et Arc GIS 10.4 pour le traitement des images satellitales (cartes d’occupation des sols et de dégradation des terres) ainsi que la réalisation de la carte de la présentation de la zone d’étude et celle des villages enquêtés ;
  • Excel et Sphinx sont utilisés pour le dépouillement des questionnaires et le traitement des données recueillies;
  • Word est utilisé pour la rédaction de ce travail ;
  • Enfin, des fiches d’enquête et d’entretien, un cahier de prise de notes, un mètre ruban et un appareil photonumérique ont été utilisés sur le terrain pour recueillir des informations auprès de la population, effectuer des observations, mesurer la hauteur des arbres déchaussés et prendre des photographies.

2. OCCUPATION DES SOLS ET DEGRADATION DES TERRES

2.1. Analyse de la dynamique d’occupation des sols de 1986 à 2013 L’analyse des cartes n°4 et 5 met en évidence la dynamique environnementale qui se caractérise par de très importants changements dans l’occupation des sols, entre 1986 et 2013. En effet, les terrains rocheux, les broussailles dégradées, les zones de cultures pluviales et les sols nus ont connu une progression entre 1986 et 2013 avec respectivement un taux d’évolution annuel de 5,65 %, 6,78 %, 0,5 % et 0,92 %. Cependant, on observe une diminution des espaces occupés par les broussailles régulières, les jachères et les formations ligneuses de plateaux. Par exemple, les jachères ont vu leur superficie passer de 15 924,9 ha en 1986 à 2 387,13 ha soit une régression annuelle de 3,14 % (tableau I). 

 

Tableau I : Évolution des classes d’occupation du sol entre 1986 et 2013

Unités

Superficie 1986 (ha)

% en 1986

Superficie

2013 en ha

% en 2013

Taux

d’évolution

(%)

Terrains rocheux

3654,68

5,68

9233,22

14,35

5,65

Broussailles dégradées

308,85

0,48

875,06

1,36

6,78

Broussailles régulières

379,62

0,59

64,34

0,1

3,07

jachères

15924,89

24,75

2387,13

3,71

3,14

Zones de cultures pluviales

27081,97

42,09

30736,65

47,77

0,5

Champs de cultures dénudés

16722,75

25,99

20885,74

32,46

0,92

Formations ligneuses de revers

270,24

0,42

90,08

0,14

2,46

Mares

70,78

0,11

Total

64343

100

64343

100

 

Ces mutations dans l’occupation des sols s’expliquent par la variabilité climatique observée ces dernières décennies et les actions anthropiques. Il s’agit entre autres de l’extension des surfaces cultivées pour répondre aux besoins d’une population toujours croissante (27 967 habitants en 2001 à 42 949 habitants en 2016) dans des conditions climatiques aléatoires. Ainsi, l’insuffisance des espaces agricoles a entrainé une réduction de la pratique de la jachère ou de sa durée et une exploitation continue des champs sans amendement conséquent. Le problème de fertilité qui en découle, se traduit alors par une baisse ou une stagnation du rendement agricole, d’où l’extension des espaces emblavés au détriment de peu de jachères ou de certaines classes de végétation. C’est pourquoi les jachères qui couvraient 24,75% du terroir en 1986 ne couvrent que 3,71% en 2013. 

Pour les broussailles régulières, la réduction de leur superficie met en évidence leur transformation en broussailles dégradées notamment sur les talus et les revers suite aux actions anthropiques et à la baisse de la pluviométrie. Quant à l’augmentation des terrains rocheux, elle semble être liée à la disparition de la mince couche arable que formaient les lithosols sur cuirasse dans les années 1980. Cette dynamique s’explique par la dégradation de la couverture végétale due à la coupe de bois et à l’intense action érosive (ruissellement en nappe et déflation éolienne). En lien avec cette situation, on assiste à l’apparition d’une nouvelle classe d’occupation des sols que sont les mares. En effet, la réduction ou la disparition de la couverture végétale des plateaux, des talus, des glacis supérieurs et des collines (photos 1 et 2) s’est traduite par une augmentation des sols nus et des ruissellements en relation avec la reprise de la pluviométrie dans la zone.

 

La mutation des classes d’occupation du sol notamment l’augmentation des surfaces cultivées de façon continue au détriment de la jachère n’est pas sans conséquence sur la capacité des terres à soutenir la productivité agricole. Mais, quel est l’état des ressources en terres dans la zone d’étude ?

2.2. État de dégradation des terres dans la zone d’étude

Il ressort de l’analyse de la figure n°1 que seulement 3,56% des terres sont faiblement dégradés soit 2 293 ha tandis qu’environ 31 605 ha soit 49,12% sont moyennement dégradés. Les superficies fortement et très fortement dégradées sont respectivement de 4 547 ha soit 40,25% et 25 898 ha soit 7,07%.

Figure n°1: Répartition des superficies des terres selon leurs niveaux de la dégradation dans la zone d’étude en 2013

 

Ainsi, on peut dire que la dégradation des terres dans la commune rurale de Sokorbé a atteint un stade avancé. En effet, elle est forte sur une bonne partie du territoire comme le montre la carte n°6. Globalement, ces espaces dégradés sont localisés dans la partie nord-ouest, nord-est, est et sudest. Il s’agit des champs de cultures ensablés, encroutés et ravinés et quelques jachères de glacis supérieur encroutées et ravinées où on ne peut pratiquer que l’élevage. Elle est très forte dans la partie ouest, nord et centrale de la commune comme illustré par la couleur rouge foncée. Il s’agit des plateaux, collines et glacis qui servent d’aires de pâturages et de coupe de bois. Les espaces moyennement dégradés sont présents sur l’ensemble du territoire avec une forte concentration dans la partie sud-est, l’extrême sud et sudouest. Ce sont des zones de cultures et quelques jachères faiblement ravinées et ensablées où la dégradation chimique semble dominante (sols sableux clairs). Par contre, les superficies faiblement dégradées sont très faibles. On les retrouve dans l’extrême sud-ouest et la partie centrale. Il s’agit de jachères présentes dans l’auréole périphérique et quelques zones de cultures situées dans des bas-fonds ou aux alentours des habitations.

Carte n°6: État de la dégradation des terres dans la commune rurale de Sokorbé en 2013

 

Ces résultats cartographiques sont en corrélation avec ceux issus de l’enquête auprès des ménages. C’est ainsi que 74,35% estiment que leurs terres sont dégradées et pour 25,75% elles sont très fortement dégradées. Certes, on constate une surestimation des terres fortement dégradées par les populations ; mais cette appréciation pourrait s’expliquer par la baisse continue des productions agricoles et le niveau avancé de cette dégradation au cours de ces dernières années. Les paysans considèrent même que les années les plus pluvieuses sont les plus catastrophiques. Il se dégage aussi de l’entretien avec les populations qu’un champ qui produisait jusqu’à 200 bottes il y a 20 ans ne dépasse pas 70 bottes aujourd’hui. Dans le même ordre d’idées, les chiffres des travaux de récupération des terres illustrent bien la dégradation dans cette zone.  Par exemple, en 2015, 54 millions FCFA ont été injectés pour récupérer les terres dégradées du village de Kalley dey Béry uniquement (Mahamadou, 2015). Il est évident que la dégradation des terres est un fléau dans la zone d’étude au vu de ces chiffres évoqués ci-haut, mais comment se manifeste la vulnérabilité des populations ? 

3. CONSÉQUENCES DE LA DÉGRADATION DES TERRES SUR LA POPULATION

3.1. Vulnérabilité de la population face à la dégradation des terres

La dégradation des terres dans la zone d’étude se manifeste par l’ensablement et le ravinement (photo 3). C’est ainsi que la totalité des ménages enquêtés (100%) a affirmé qu’elle perturbe de plus en plus leurs productions agricoles marquées par une baisse assez soutenue. 

Photo n° 3:Bas-fond ensablé à Bameye

 

Ainsi, l’insécurité alimentaire qui s’ensuit trouve son origine dans cette même dégradation et les effets du changement climatique. En effet, les revenus agricoles ne permettent plus aux ménages de subvenir à leurs besoins alimentaires. C’est pourquoi, il se dégage de l’analyse des résultats de l’enquête et du focus groupe que le nombre de bottes récoltées au cours de l’année varie de 10 à 230. Toutefois, selon l’enquête individuelle, l’écrasante majorité des ménages (44%) a une production totale variant de 10 à 50 bottes par an, soit environ 1 à 6 sacs de 100 kg et 36% ont une production de 50 à 100 bottes par an, soit 6 à 12 sacs de 100 kg. Néanmoins 1/5 des paysans produit plus de 100 bottes par an (figure 2). 

 

Figure n°2: Répartition des ménages selon le volume de leur production totale en bottes par an

 

3.2. La vulnérabilité des ménages à l’insécurité alimentaire

La durée de la production agricole semble le critère le plus approprié pour évaluer leur vulnérabilité à l’insécurité alimentaire, étant donné que leurs revenus annuels sont insignifiants et aléatoires. En effet, seulement 37% des personnes enquêtées ont des revenus annuels supérieurs à 50.000 FCFA. De ce fait, on peut classer ces ménages en cinq classes de vulnérabilité choisies en fonction de la durée de consommation de leurs productions agricoles (tableau II). 

 

Tableau II : Classes de vulnérabilité en fonction de la consommation de la production agricole

Classes

Très vulnérable

Vulnérable

Moyennement

Faiblement

Très faiblement

Durée de la consommation 

1 à 3 mois

3 à 6 mois

6 à 9 mois

9 à 12 mois

Plus de 12 mois

Suivant ce critère, plus de la moitié (53%) des personnes enquêtées sont vulnérables à l’insécurité alimentaire car elles rapportent que leurs productions agricoles ne couvrent que 3 à 6 mois de l’année (tableau III). 

 

Tableau III : Durée de consommation de la production agricole au cours de l’année

Durée

Pourcentage

1 à 3 mois

27 %

3 à 6 mois

53 %

6 à 9 mois

15 %

9 à 12 mois

5 %

En ce sens, elles sont appelées à chercher un complément alimentaire de 6 à 9 mois par an. La classe la plus critique qui est celle des très vulnérables concerne 27% de l’échantillon. Elle est critique car la recherche du complément alimentaire doit durer 9 mois dans l’année. En plus, il s’agit dans leur grande majorité des pauvres. Les moyennement et faiblement vulnérables représentent respectivement 15 et 5%. Toutefois, aucun ménage ne subsiste sur la base de sa production agricole au-delà de dix (10) mois dans l’année. Il s’agit enfin des ménages qui connaissent une période de soudure de 2 à 3 mois par an. Si cette soudure intervient au moment des travaux champêtres, elle affecte gravement la capacité de production, aggravant ainsi la vulnérabilité alimentaire de l’année suivante. 

 

4. DISCUSSION

Les résultats issus du traitement des images satellitaires révèlent que la zone d’étude a subi une profonde mutation de l’occupation du sol entre 1986 et 2013. Mais l’augmentation des surfaces dénudées semble générale dans la partie ouest nigérienne car des résultats similaires ont été obtenus dans les travaux antérieurs. En effet, dans le secteur de Fakara (Ouest Niger), on assiste à une augmentation des surfaces nues due essentiellement au changement d’usage des sols (Loireau, 1998 ; Souley Yero, 2008). Bouzou Moussa et al. (2011) confirment cette hausse des sols nus dont les proportions sont passées de 12,84% à 24,78% entre 1980 et 2000 pendant que les cultures ont diminué de 22,87% à 11,79% dans le secteur de Banizoumbou.

De même Abdourhamane Toure (2011) note la disparition de la couverture végétale sur le plateau dans les terroirs de Saga Gorou (Ouest Niger) entre 1975 et 2009. Il ajoute que les jachères passent de 5% à 1% au cours de la même période tandis que les zones de cultures ont connu une régression au profit des champs dénudés qui occupent 19% de ces terroirs en 2009. D’après Souley Yero (2012), les sols nus dégradés sont passés de 4,84% en 1950 à 16,82% en 1975 et 30 ,95% en 1992 dans la zone de Wankama. Par contre, dans le bassin versant de Tondikiboro (Banizoumbou), ces sols nus n’existaient même pas en 1965, mais ils occupaient 2,43% en 1993 pour passer à 37,51% en 2007. Il en est de même pour les zones d’épandage constituées de surfaces ensablées qui passent de 0,99% en 1993 à 11,05% en 2007. Abba (2013) aussi a constaté une augmentation des terrains rocheux de plus de 10,38% entre 1975 et 1999 dans le secteur de Dyabou (périphérie du Parc National du W du Niger). De son côté, le SRAT de Dosso

(2015) estime que les superficies des sols nus et terrains rocheux ont doublé entre 1996 et 2010 en passant de 23 890 ha à 43 898 ha dans la région de Dosso.

Dans la zone d’étude, l’érosion (hydrique et éolienne) est essentiellement à la base de la dégradation comme l’illustrent les photos 3 et 4. 

Photos n°3 et 4 : Illustration d’une ravine dans un champ de culture pluviale à Bameye (à gauche) et une jachère très dégradée sur le glacis de Dikki (à droite)

 

Cette étude indique que la proportion dégradée et très dégradée occupe près de la moitié de la zone (47,32%). Pourtant en 2010, un communiqué du CILSS fait état de 3.900.000 ha soit 26,92% dégradés parmi les 14.484.000 ha des terres arables dont dispose le Niger. Par contre, le PNIA/SDR Niger (2010) note que plus de 46% des terres sont dégradées à fortement dégradée. Selon Abdourhamane Toure (2011), le phénomène de dégradation se manifeste dans la zone de Banizoumbou (ouest du Niger) par la conversion des surfaces jadis cultivées en croûtes d’érosion (sols dénudés). Selon la synthèse visuelle de la Convention des Nations Unies pour la Lutte contre la Désertification (CNULD, 2011), 24% des terres sont dégradés à l’échelle du globe entre 1981 et 2003 dont les 20% sont des terres cultivées.

Waziri Mato (2012) a d’ailleurs rapporté que cette dégradation des ressources naturelles y compris les terres constitue la principale préoccupation des populations dans le département de Guidan Roumdji situé au sud-ouest du Niger. Aussi, Abba (2013) souligne que cette transformation paysagère se traduit par la généralisation du ravinement et l’ensablement des bas-fonds dans le secteur de Dyabou (ouest nigérien). Zabeirou et al. (2015) notent qu’elle est plus importante dans les zones cultivées de façon continue. En effet, il se dégage des résultats de leurs mesures qu’un seul évènement érosif a causé sur un champ de cultures couvert des résidus à 800 kg/ha une perte en terres de 26 tonnes/ha. Dans la même zone, cette perte s’élève de 17 à 214 tonnes/ha sur un champ longuement cultivé. Selon un communiqué du Centre Régional AGRHYMET (CRA, 2013) cité dans le SE/CNEDD (2017), les superficies dégradées à très fortement dégradées occupent 47,47% en 2010 contre 56,39% en 2013 au Niger. 

Concernant la baisse de la productivité agricole, des résultats similaires ont été trouvés par Abdourhamane Touré (2011) dans la zone de Banizoumbou (ouest du Niger). En effet, il ressort de ses entretiens avec les populations qu’un champ d’un hectare qui peut produire plus de 100 bottes de mil (grand mil) il y a 30 ans, assurant la sécurité alimentaire d’une famille pendant une année, ne donne aujourd’hui que 25 bottes de mil pour une durée de consommation de deux ou trois mois. En outre, selon Ludovic (2013), 11 à 20% des ménages du département de Loga dont fait partie de la commune rurale de Sokorbé sont en état d’insécurité alimentaire sévère en 2013. Par ailleurs, Beaub cité dans la revue Inter-réseaux (2013) note que la production propre des ménages couvre 80% de leur consommation et les achats représentent 10% il y a quelques années au Sahel. Aujourd’hui cette production propre ne couvre que 40% des besoins alimentaires et les achats sont estimés à 50% de la consommation au cours de l’année. 

En somme, la dégradation environnementale dans le sud-ouest nigérien est une réalité évidente et demeure un véritable souci pour le développement durable tant en milieu rural qu’urbain. Ce constat confirme notre hypothèse de départ qui est que la dégradation a atteint un état avancé et qu’elle rend vulnérables les populations de la commune rurale de Sokorbé, en affectant leurs ressources de subsistance, leurs infrastructures et leurs habitats. Il est donc nécessaire de comprendre pourquoi cette dégradation avance dans cette zone malgré les multiples mesures prises pour y faire face. 

             

CONCLUSION

La présente étude a eu pour objectif d’évaluer l’état de la dégradation des terres ainsi que la vulnérabilité des populations de la commune rurale de Sokorbé.  Le principal indicateur est l’insécurité alimentaire dans un contexte de changement climatique et de pression humaine. La réflexion s’est faite à travers l’exploitation et l’analyse des données satellitales d’une part et l’observation sur le terrain et les enquêtes auprès des populations d’autre part. Il en ressort que l’environnement a connu des modifications dans son fonctionnement, sa structure et sa composition comme l’a révélé l’analyse des données satellitales. En effet, l’emprise humaine importante se traduit par l’extension des zones de cultures pluviales entre 1986 et 2013 et des sols dénudés. Cette modification expose les sols à l’agressivité climatique, entrainant une rupture de l’équilibre et une réduction de la capacité des terres à soutenir la production agropastorale et forestière. C’est ainsi que 47,25% des terres sont fortement à très fortement dégradées en 2013. Il en découle une baisse de la production agricole qui expose les populations à l’insécurité alimentaire. Celle-ci touche toutes les classes de la population, mais à des degrés différents. Pour résorber le déficit de l’auto-approvisionnement alimentaire, 63% des populations recourent à un complément alimentaire pendant plus de 6 mois dans l’année. 

C’est pourquoi, dans ce contexte de dégradation des terres, la restauration d’un environnement propice à l’essor des paysans s’impose pour parvenir à la sécurité alimentaire. Pour ce faire, la prise en compte des réponses existantes au sein de la population est plus qu’une nécessité mais il va falloir évaluer leurs impacts potentiels et réels sur l’environnement ainsi que leur acceptabilité sociale. En outre, du fait que les ressources en terres sont limitées, des alternatives allant dans le sens de valorisation du potentiel irrigable pourraient être envisagées.

             

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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1 réflexion sur “DÉGRADATION DES TERRES ET VULNÉRABILITÉ DES POPULATIONS DE LA COMMUNE RURALE DE SOKORBÉ FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET A LA PRESSION ANTHROPIQUE”

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